Les choses simples de la vie

Photo de l’auteur, qui malheureusement n’a toujours pas compris quel est le nom de cette plante.

J’ai été absente de ce carnet pendant un moment. La principale raison est que j’ai traversé une période de stress si intense, que je n’ai pas trouvé l’énergie de partager quoi que ce soit sur ces pages. Pourtant, je n’ai certainement pas eu autant de choses à faire qu’au premier semestre, quand j’enseignais en même temps à l’université et au lycée. Et j’ai fait un grand nombre de choses intéressantes, comme participer à un colloque, intervenir dans des cours sur les polythéismes anciens ou encore candidater aux postes de Maître de conférence… ok cette dernière est une blague, bien sûr.

Mais j’aurais dû avancer dans la rédaction du livre tiré de ma thèse. Et s’y mettre a été plus difficile que prévu. J’ai failli retomber dans la spirale de culpabilité que j’ai bien connu pendant la rédaction de la thèse elle-même… vous savez, ô thésards ou anciens thésards du monde entier ? C’est cette spirale maléfique qui vous fait systématiquement culpabiliser au plus haut point à chaque fois que vous faites quoi que ce soit d’autre que travailler sur votre thèse. Par exemple profiter d’une belle journée de soleil, parler au téléphone avec un ami, donner des cours, corriger des copies, manger et même dormir. De ce pas, même le repos devient une source de stress et à chaque fois qu’une nouvelle chose à faire se présente on risque de perdre les boules.

C’est marrant car je m’étaits toujours jurée que tout cela serait fini une fois que j’aurai terminé la thèse. Que je serais finalement libre. Je ne voulais pas croire que je me retrouvais encore une fois au point de départ. Et en effet, écrire ce livre, même si c’est la deuxième fois que cela m’arrive, est de nouveau un travail de longue halaine, un peu comme la rédaction de la thèse. Et on est obligé d’en morceler la réalisation entre celle de toutes les autres tâches que la vie professionnelle et personnelle nous met devant les pieds. Et même si à chaque fois on avance un tout petit peu, il est difficile de voir le progrès que nous avons fait, au lieu que la montagne de tout ce qui reste à faire. Pour ne pas parler du fait qu’à chaque fois qu’on relis ce qu’on a déjà écrit on est possédé par un démon redoutable qui nous pousse à en modifier presque chaque phrase. J’ai fini par me demander si je suis vraiment prête à me relancer dans ce type d’expérience. Mais l’idée de renoncer à publier ne m’attire pas particulièrement non plus.

Alors, il ne me reste qu’un seul choix. C’est-à-dire d’essayer d’avancer sans m’infliger autant de pression. Car enfin le stress est en nous et dans notre manière de faire face aux choses, plutôt que dans la nature des choses elles-mêmes. Je crois que Yoda serait fier de moi, là. Ou Maître Shifu de Kung Fu Panda, au choix. Ça ne va pas être facile, car je suis habituée à vivre dans le culte de la productivité et de l’efficacité à tout prix. Et mon idée de productivité est très fortement liée à une gestion serré du planning, programmé à la minute près pour y faire rentrer le plus grand nombre de choses possibles. Et cela non seulement à courte échelle, sur la longueur d’une journée par exemple, mais aussi à long terme, par semaine, mois et années : un exercice qui est devenu de plus en plus difficile grâce à la Covid-19, d’ailleurs. Mais bon, tout cela a été probablement nécessaire ou du moins adapté à une certaine phase de ma vie, celle de mes études qui ont suivi le rythme forcené de l’École Normale Supérieur de Pise : « un normaliste est comme une corde qu’on tire au maximum de son potentiel, si elle se brise, c’est que ce n’était pas un vrai normaliste ». Maître Shifu tout craché, quoi.

Maintenant, j’ai le sentiment que ce n’est plus le temps. Premièrement, « non ho l’étà », comme le chantait Gigliola Cinquetti à l’Eurovision de 1964 (ou, pour les Italiens, au festival de Sanremo de la même année)… quand elle avait 17 ans. True story. Il doit bien y avoir un moment pour profiter des bonnes petites choses de la vie. Deuxièmement, c’est justement pour avoir cette possibilité que, il y a désormais beaucoup de lunes, j’ai passé les concours pour l’enseignement secondaire en France. Et ce serait un peu stupide d’avoir fait tout cela pour ne pas vraiment s’autoriser à en profiter.

Est-ce que cela veut dire que je dois abandonner la recherche ? Certes, il s’agit d’un milieu compétitif et l’on peut se dire qu’il est impossible de s’y frayer un chemin sans s’imposer les travaux forcés. Mais, comme beaucoup d’entre nous, la raison première pour laquelle je veux continuer de faire de la recherche, c’est par passion. C’est parce que cela me plait. Si la seule manière de le faire implique d’y rétirer tout le plaisir, alors ça n’a plus de sens. Il faut donc découvrir s’il est possible de le faire sans rentrer dans le cercle vicieux de l’autodestruction. Skadoosh.

Je ne sais pas vous, mais je reste optimiste. Et cette après-midi je me suis autorisée à corriger des copies au soleil dans le parc du chateau de Fontainebleau. Prosit (qui n’est pas de l’allemand, mais du latin, comme tout ce qui vaille).

Curate ut valeatis et in proximum. 🙂


Béatrice Lietz

Docteur en Sciences de l'Antiquité, professeur agrégée de Lettres classiques, qualifiée aux fonctions de Maître de Conférences en section 21 et 8.

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